1975
1975

Le Juge et l’assassin

De Bertrand Tavernier

Comment illustrer en musique une France du dix-neuvième siècle, mais sans recourir aux clichés, ou pire : aux figures attendues ? Comment donner à entendre l’affrontement entre un vagabond égorgeur et violeur en série (Michel Galabru, saisissant) et le juge qui va l’arrêter et instruire son procès (Philippe Noiret, impérial) ?

Comment traduire une France sur le point de traverser les grands bouleversements socialistes de la Commune ? Bertrand Tavernier/Sarde c’est le binôme rêvé : tordre le cou aux idées reçues. Surprendre. Le réalisateur de l’Horloger de Saint-Paul aurait très bien pu commander à son compositeur une partition de thriller. Le résultat aurait été sans aucun doute efficace, mais en deçà de l’ambition du projet : dossier juridique, mais aussi fresque épique en cinémascope sur le destin de deux hommes en pleine collision.

Le générique d’ouverture, pièce agressive pour cordes, cuivres et bandonéon, donne le ton : le film ne sera pas confortable. Sur les superbes images ardéchoises traversées par Bouvier l’éventreur, la musique possède non seulement l’ampleur requise, mais aussi le côté étrange et fou de Bouvier, un révolté pris dans les fils de son errance homicide.

Plus qu’un générique, Sarde dresse d’emblée le portrait d’un homme que nous apprendrons à connaître le film durant. En quelques minutes Sarde entremêle dans un même mouvement, à la fois la folie du personnage, qui s’incarne dans les figures frénétiques des cordes, en même temps que la solitude et la mélancolie profonde constitutives de sa personnalité.

Pas étonnant non plus d’entendre une citation subtile du dies irae : Bouvier se sent investi d’une mission quasi divine, en contradiction avec son anti cléricalisme.  La grande force du Juge et l’assassin ce sont aussi plusieurs chansons écrites par Sarde et Jean-Roger Caussimon (« la complainte de Bouvier », « la commune est en lutte »), intervenant tel un chœur antique sur la narration.

Une façon aussi de faire avancer l’intrigue en laissant de côté plusieurs scènes d’explications fastidieuses. Deux, trois chansons dans lesquelles explose toute la fougue mélodique du compositeur. Le Juge et l’Assassin, à travers son succès critique et populaire (nomination en 1976 aux César de la musique de film), va définitivement conforter les deux hommes à continuer la route ensemble, dans une recherche des climats inédits (« Coup de Torchon », « L.627 », « Des enfants gâtés »). Et cette deuxième collaboration est avec le recul leur plus belle, leur plus fulgurante.

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